Toucher aquatique

 Lorsque l’on s’est arrêté de nager ne serait-ce qu’une semaine, on retrouve cette sensation hors du commun.
Ce moment où les millions de capteurs sensoriels de l’épiderme redécouvrent le désir qu’ils ont pour l’eau. Une avidité, une boulimie pour un sentiment sans pareil.
Une seule traction sous l’eau et la machine à sensation est lancée.
La fuite liquide sous l’abdomen, le bruit des bulles dans les oreilles, le contact du bout des doigts avec la surface.

Jérémy Stravius, grand amateur de la nage subaquatique. © S.Kempinaire


La répétition quotidienne tend à banaliser ce plaisir. La difficulté de l’entraînement ne fait que le marginaliser.

Mais y a-t-il beaucoup plus plaisant que la glisse subaquatique suivant le plongeon ? Plus agréable que cet instant où l’on s’extrait de l’eau poussé par une vitesse démesurée ?
Evidemment.
La vie serait bien moribonde dans le cas contraire.
Il n’empêche que lorsqu’on se focalise sur son ressenti, l’effet est transcendant, l’impression est saisissante.

Le fait même de pratiquer le papillon relève d’une certaine prouesse physique et technique.
La tête suivant les mains sous l’eau, avant que cette dernière ne soit projetée en l’air à l’aide d’une traction coordonnée à une puissante ondulation. C’est devenu si familier, si fatiguant, qu’on en oublierait la plaisance de cet envol et la délectation qu’il procure.
Les autres nages possèdent leur lot de réjouissances.
L’allongement du corps lorsque sur le dos, la main franchit la barrière du regard. Le moment d’alignement parfait en brasse quand bras et jambes ont achevé leur travail et que seule la glisse compte.
Et en crawl, ce centième de seconde où l’avant-bras est parfaitement perpendiculaire au reste du corps. Cet infime instant où l’impression de déplacement est maximale.
Le sentiment est inégalable. La perception sans égale.

Il suffit de regarder une compétition à la télévision pour retrouver tout cela,  l’imaginer et le ressentir comme si l’on était dans un bassin.
Savoir nager, c’est être marqué au fer rouge d’un indice sensoriel inaltérable. C’est se prévaloir d’un lexique étoffé de sensation même sans en connaître le nom.

Au fond, lorsque l’on arrête des jours, des mois, des années. Ce qui nous manque, ce n’est pas la rudesse de l’effort, mais ce rapport à l’eau, cette délicatesse des molécules sur notre peau.
Semblables aux courbes d’une femme, celles de l’eau sont tout aussi voluptueuses, tout aussi entraînantes.
Lorsque l’on nage, comme souvent d’ailleurs, c’est au bout des doigts que le plaisir se trouve.

Au bout des doigts que se manifeste ce don divin.





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